« Un livre est comme une clef : des portes s'ouvrent, à l'intérieur comme à l'extérieur de soi » Gisèle Bienne
Il est des livres qui nous marquent car ils nous ouvrent de nouvelles perspectives, nous amènent à porter un autre regard sur le monde. On dit qu'ils tracent un « avant et un après » dans notre parcours de lecteur.
Pour le passionné ludique, il en va de même pour les jeux de société . Certains jeux agissent en effet comme des révélateurs : ils nous « prennent par la main » et réveillent le gamer qui est en nous . Nous nous pensions modeste joueur du dimanche , quidam « pas très jeu de société », ou seulement amateur de party games à l'heure de l'apéro...et voilà qu'un jeu d'apparence innocente nous plonge dans le plaisir échevelé de la stratégie ! Le jeu qui titillait notre curiosité et semblait « à notre niveau » se révèle bien plus profond que nous ne l'aurions imaginé, et nous fait prendre conscience de facultés de concentration, de réflexion, de roublardise insoupçonnées.
Dans l'univers du jeu de société, on parle de « jeu passerelle » : un jeu qui nous fait passer dans la catégorie supérieure et crée un lien entre des univers ludiques à priori distincts ... jeux pour enfants, jeux familiaux, jeux intermédiaires, jeux experts, jeux « funs » et jeux « sérieux »...
Parmi ces jeux, bon nombre deviennent des classiques , vendus à des centaines de milliers d'exemplaires : Les aventuriers du rail, Splendor, Seven Wonders. Unlock, Carcassonne Dixit..Les raisons de leur succès tiennent moins à un effet de mode (même si la popularité d'un jeu a incontestablement un effet boule de neige) qu'a cette capacité très spécifique de nous faire grandir et d'enrichir notre vision du jeu. Il en est d'autres, un peu moins connus, qui possèdent aussi ce ferment ludique : Kingdomino, Little Town, Jamaïca, Terraformnig Mars,Azul , Agricola, Smallworld... Simples ou touffus, ces titres dépassent les attentes des gens qui les découvrent et les emmènent ailleurs. Comme les livres, chacun a les siens.
Le jeu Little Town en est pour moi un bon exemple : des petits personnages qui construisent une ville , des bâtiments avec différentes capacités, du bois ou de la pierre pour les construire ... le tout dans une esthétique très familière aux élèves, qui rappelle les petits jeux de gestion sur Smartphone. Le thème attire et accroche, les règles sont logiques et intuitives...et alors commence un casse-tête passionnant pour occuper les meilleurs emplacements, collecter ses ressources, nourrir ses ouvriers ! La machine à réfléchir joyeusement est lancée, et beaucoup d'élèves se « prennent au jeu » et se dépassent. Un cap est franchi, ils ont pris goût à la chose...maintenant, comment être meilleur stratège ?
Dans les projets d'acquisitions d'une ludothèque scolaire, ce ne sont donc pas des simples « classiques», à avoir absolument : il s'agit plutôt de titres emblématiques, que chacun choisira selon sa propre expérience, et qui nous rappellent pourquoi nous faisons ce métier.
Et pour cause : faire découvrir ces « jeux-passerelle » aux élèves et les voir franchir ces caps dans le plaisir de jouer constitue une grande satisfaction pédagogique. Car nous savons, et l'élève aussi, qu'il s'agit de bien plus qu'un bon moment de détente passé avec les copains entre deux heures de cours. Sont posés en effet, subrepticement, dans le « savoir jouer », des jalons important dans la construction de soi : confiance en notre capacité de décider, goût pour la réflexion et l'interaction avec autrui.
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